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[Interview] Victor Norek – Auteur de L’Oeuvre de Steven Spielberg

Interview Victor Norek
Temps de lecture estimé :12 Minutes, 40 Secondes

Il y a quelques semaines, nous vous avons présenté L’Oeuvre de Steven Spielberg, un magnifique ouvrage disponible chez Third Editions et signé Victor Norek, fondateur de la chaine YouTube Le CinématoGrapheur avec qui nous avons pu échanger suite à la sortie de l’ouvrage.

1. Bonjour Victor. Merci d’avoir accepté cette interview, dans un premier temps peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Bonjour Fabien, merci beaucoup tout d’abord de m’avoir invité à répondre à cet entretien pour Game Cover même si ce que je fais n’est pas en lien direct avec le jeu vidéo. En effet, je tiens depuis presque 3 ans une chaîne YouTube dont le but est de réhabiliter la pop culture (surtout à travers le cinéma) et prouver que c’est vraiment un art à part entière. À la base je suis dentiste, même si je voulais être cinéaste plus jeune, une voie que j’ai explorée un peu mais en vain. Et avec les confinements, je me suis remis à mes amours de jeunesse et comme pas mal de monde, j’ai lâché un boulot confortable pour tenter quelque chose d’autre parce qu’on a qu’une seule vie et qu’il faut essayer, au moins essayer, de vivre de sa passion (bon, on en reparlera quand mes réserves seront épuisées ^^). Donc sur ma chaîne Le CinématoGrapheur, vous trouverez des épisodes (souvent un peu long, environ une heure par vidéo) qui se centrent autour d’un film en particulier et qui le décortiquent (c’est tout sauf de la critique ciné, même le contraire) pour comprendre à quel point il va plus loin que ce qu’il le laisse croire au premier abord. Ça va de Terminator au Voyage de Chihiro en passant par Incassable, Die hard, Nope, Se7en, Jurassic park et bien d’autres…

2. Comment est né ce projet et ta passion pour Steven Spielberg ?

Ça remonte à Juin 2021, je venais de sortir le cinquième épisode de ma chaîne YouTube, qui avait alors à peine deux mois, qui décortiquait presque plan par plan l’ouverture des Aventuriers de l’arche perdue. Et la vidéo a été partagé sur les réseaux par Rafik Djoumi, qui est un des mentors de ma cinéphilie à travers son défunt blog où il m’avait permis de comprendre toutes les subtilités de Matrix, et ses articles chez Mad Movies. Ce partage a fait « exploser » la très modeste audience que j’avais à ce moment-là et quelques jours plus tard, j’ai reçu un courriel de la part de Third éditions, un éditeur toulousain spécialisé dans la pop culture : « On aime beaucoup la façon dont tu parles de cinéma, est-ce que tu aimerais écrire un livre pour nous à propos d’un cinéaste en particulier ? ». Voilà comment a démarré ce projet dantesque, puisque nous avons très rapidement jeté notre dévolu sur Spielberg.

Interview Victor Norek

Quant à ma passion pour Spielberg, j’ai l’impression que tous mes souvenirs transitent par lui, que ce soit le premier film que j’ai vu au cinéma, quand j’avais 3 ans, Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles, réalisé par Don Bluth, mais produit par Spielberg, où apparemment j’emmerdais toute la salle parce que je connaissais tous les noms des dinos et que je les disais très fort à chaque fois qu’ils apparaissaient à l’écran. Ensuite un de mes premiers souvenirs de films c’est Jurassic Park, que j’ai vu un peu trop jeune, à 6 ans en VHS et qui m’avait beaucoup marqué, notamment parce que mon père avait bloqué sur le plan où le T-Rex, quand il poursuit la jeep, est vu en reflet dans le rétroviseur, où il y a marqué « les objets dans le miroir sont plus gros que ce qu’ils en ont l’air », et ça l’avait fait rire. Et moi à 6 ans, de me demander pourquoi ça l’avait fait rire, et donc que cette scène avait été filmée par quelqu’un qui avait l’intention de provoquer une réaction chez les spectateurs, donc en fait qu’il y avait des gens derrière la caméra, que les films n’arrivaient pas tout crus comme ça sur l’écran. Donc très rapidement, peut-être pas de façon aussi construite que ce que j’explique, mais j’ai eu cette notion que les films avaient un but, et ça c’est grâce à Spielberg (et aussi à mon père donc ^^).

Et justement, en parlant de mon père, c’est aussi grâce à Spielberg que j’ai appris l’histoire de ma famille, puisque c’est en me montrant La Liste de Schindler (encore trop jeune, je devais avoir 8 ans), que mon père m’a expliqué que son père à lui avait été interné dans les camps de concentration, à Buchenwald, de 1941 à 1945 (qui était un camp de travail et non d’extermination, même si les plus faibles étaient envoyés à Auschwitz depuis Buchenwald, à 600km de là). Mon grand-père, comme les juifs de Schindler, a fait parti des survivants, et il n’y avait pas de meilleur moyen pour me l’expliquer, que de me montrer ce film qui est devenu depuis presque un patrimoine familial.

3. La filmographie de Steven Spielberg est assez dense. Comment as-tu géré l’écriture de ce premier tome ?

C’est vrai, Spielberg a réalisé 35 films (en comptant Duel et Poltergeist). J’ai choisi de ne pas parler de ses courts-métrages, téléfilms, épisodes de séries et productions, sinon on monterait à plus de 200 le chiffre de films à traiter. Et comme le but était de décortiquer en profondeur sa filmographie, je ne pouvais pas me permettre de digressions. C’est pour ça aussi que je n’ai pas inclus le court-métrage qu’il a réalisé pour le film à sketches La Quatrième dimension, mais que j’ai bien inclus Duel (qui a bénéficié d’une sortie salle après que Spielberg ait tourné et rajouté 16 minutes au métrage pour le gonfler à 90min, les 16 minutes les plus symboliques du film d’ailleurs !) et Poltergeist (qu’il a scénarisé et réalisé en grande partie, comme je l’explique dans le livre).

Les quelques autres écrits qui prenaient vraiment au sérieux la filmographie de Spielberg étaient soit chronologiques (ce qui ne me paraissait pas une bonne idée car c’est le meilleur moyen pour perdre le lecteur qui n’a pas vraiment de point de repère thématique et a donc tendance à aller directement au chapitre qui l’intéresse), soit thématiques et transversaux (ce qui ne me paraissait pas une bonne idée non plus, car parler d’un thème par chapitre en mélangeant 35 films était également un parfait moyen pour perdre un lecteur qui n’aurait pas forcément tous les films et personnages en tête). J’ai donc choisi une approche thématique qui décortiquerait film par film tout en séparant ceux-ci en 6 grandes parties pour permettre au lecteur de l’accompagner dans une rétrospective et lui permettre de redécouvrir l’œuvre dans son ensemble, sans que ça paraisse trop fouillis.

Il y a donc 6 grands thèmes (3 par volume), avec en moyenne 5 films par thème, permettant de toujours garder une certaine cohérence, comme si je racontais une histoire à travers les différents films. Le premier thème ouvre ainsi la porte biographique de sa filmographie, permettant de mieux comprendre comment celle-ci a évolué en fonction des différentes étapes de la vie de leur auteur, et ainsi de suite…

4. Le tome 2 était prévu dès le début ? 

Absolument pas ! C’était d’ailleurs une de mes grandes peurs puisque j’avais énormément de choses à dire et que mon éditeur m’avait bien prévenu sur la quantité limitée de signes qui était à ma disposition (entre 500.000 et 750.000, c’est-à-dire un livre entre 250 et 350 pages). J’ai écrit l’introduction et les trois premiers chapitres et au moment où je les leur ai envoyés, un simple produit en croix m’a révélé avec horreur que si je gardais ce rythme-là, je partais sur 2 millions de signes en tout ! Je n’ai rien dit, je les ai laissé lire les premiers chapitres (dont j’étais, je l’avoue, assez fier) et j’ai croisé les doigts. Suite à leur excellent retour (ouf !), je leur ai fait part de mon produit en croix et ils ont accepté de faire deux volumes si j’acceptais de ne pas dépasser les 750.000 signes par volume (spoilers, le premier en continent plus de 800.000, je suis un rebelle…), en disant que s’il y avait bien un cinéaste sur lequel ils pouvaient se permettre ça,, c’était bien Spielberg.

5. Le préface a été signé par le journaliste Rafik Djoumi avec qui tu as collaboré sur ta chaîne. Comment est née cette collaboration ?

Après qu’il ait partagé mon travail sur les réseaux, je l’ai contacté afin de lui proposer une collaboration sur des épisodes de ma chaîne, ce qu’il a tout de suite accepté : « on ne parle jamais assez de langage cinématographique ! ». Nous avons ainsi décortiqué ensemble Incassable, Die Hard, Le Labyrinthe de Pan et la trilogie Spider-Man de Sam Raimi. Et comme il a toujours été l’un des premiers défenseurs de l’intelligence du cinéma de Spielberg (notamment dans ses interventions sur NoCiné, Rockyrama et CaptureMag), et qu’il m’avait permis mon premier coup e boost sur internet grâce à Spielberg, il me paraissait évident qu’il lui revenait l’écriture de cette préface.

6. On dit souvent que Steven Spielberg utilise le cinéma comme langage universel ce que l’on ressent dans des films comme Rencontres du Troisième type. Qu’en penses-tu ?

Pour moi c’est évident, ses films sont d’ailleurs souvent beaucoup plus basés sur les images que sur les mots (dans un scénario de Spielberg il y a 2 à trois fois moins de dialogues que dans un Scorcese par exemple), et ça vient beaucoup de sa très forte dyslexie, qu’il a toujours eue, mais qu’il ne s’est fait diagnostiquer que très tardivement, dans les années 2010, qui fait qu’il a toujours eu énormément de mal à communiquer à l’oral. Ça se ressent tout particulièrement comme tu le dis dans Rencontres du troisième type qui est, dans les mots de Spielberg « le film le plus à propos de l’impossibilité de communiquer » qu’il ait fait de sa vie. Le film ouvre d’ailleurs sur un hispanophone qui est traduit à une anglophone, qui est traduit à un francophone, le tout en pleine tempête de sable. C’est une vraie Tour de Babel, personne ne se comprend. Spielberg nous met dans sa peau quand il se retrouve au milieu de tous ses grands confrères cinéastes, grands intellectuels éloquents (Martin Scorsese me vient évidemment à nouveau en tête) et qu’il se sent incapable d’articuler deux phrases.

Rencontres du troisième type essaye donc de montrer un langage qui dépasse la parole pour communiquer avec une intelligence extraterrestre, où même pour les plus grands scientifiques « c’est le premier jour d’école » comme dit l’un d’eux. Un langage qui unit la lumière et le son, c’est-à-dire le cinéma.

Et je reviens sur mon père, qui, entre Jurassic Park et Schindler, m’a permis de découvrir très jeune des notions qu’on a du mal à intellectualiser à cet âge-là, mais je les ai découvertes de façon sensorielle.

Pour faire un lien avec le jeu vidéo, le cinéma de Spielberg a tellement modifié la façon de penser les choses, justement parce que c’était purement visuel, qu’il en a inventé, avec la scène d’ouverture d’Indiana Jones, le style du platformer, qui reprend les codes de cette ouverture, avec des pièges à éviter, des sauts à faire, pour aller récupérer un item au bout, le tout quasiment en 2D puisqu’il s’agit d’un long couloir.

Mais ses rapports avec le jeu vidéo ne s’arrêtent pas là puisque c’est lui qui est à la base des Medal of honor, qu’il a produit pour prolonger l’expérience qu’il avait vécue pendant le tournage du Soldat Ryan, où il mettait le spectateur à la place d’un soldat pendant le débarquement en Normandie en 44, et qu’il a voulu étendre à l’univers du jeu-vidéo, qui s’y prêtait parfaitement au niveau immersif. Et il est même allé jusqu’à créer lui-même un jeu vidéo, sur Wii, qui s’appelle Bloom blox. Il fait partie des premiers défenseurs du médium vidéoludique et les gens de la presse qu’il recevaient chez lui étaient étonnés, au début des années 80 d’avoir l’impression de se retrouver au milieu d’une salle d’arcade.

7. L’an dernier, The Fabelmans a été un véritable carton mais aussi une déclaration d’amour au cinéma selon les critiques. Un succès mérité ?

Alors je me permets de revenir sur la question parce que non, The Fabelmans n’a pas du tout été un carton, c’est même le pire box-office de Spielberg tout film confondu aux USA (en prenant en compte l’inflation), avec un des pires démarrages de l’année tout film confondu (à peine 160.000$ de recettes pour son premier weekend) pour 2022. Il n’y a en fait qu’en France que le film a eu du succès (presque de 7.000.000 de recettes donc 2.000.000 pour son premier weekend), malgré le fait qu’il soit en plus sorti presque 6 mois après les US et après sa sortie soudaine sur les plateformes, ce qui fait que beaucoup de cinéphiles l’avaient vu en version piratée longtemps avant sa sortie.

C’est aussi le film le mieux noté de l’histoire du cinéma par les critiques françaises au moment de sa sortie, ce qui pour moi est un signe assez particulier puisque nombreux des journaux qui ont fait l’éloge de The Fabelmans, aussi beaucoup pour se placer en opposition du faible engouement des spectateurs aux USA, sont ceux qui, il y a 30 ans, désignaient Spielberg comme le fossoyeur du cinéma, qui militaient pour que les spectateurs boycottent Jurassic Park en faveur de Germinal à sa sortie. Il est du de s’imaginer à quel point Spielberg a été haï des critiques françaises pendant longtemps, montré comme l’incarnation de l’impérialisme américain qui désirait abrutir les foules et l’antithèse absolue de tout ce que pouvait être le septième art. À tel point que c’est Jurassic Park qui a cristallisé autour de lui la création de l’exception culturelle française par les accords du GATT en 1994.

C’est ainsi amusant de voir ce retournement de veste et ces médias qui ont craché sur Spielberg une large partie de sa carrière s’offusquer que les spectateurs ne viennent pas en salle voir ses œuvres maintenant qu’il développe un cinéma plus ouvertement « d’auteur », alors qu’il l’a toujours fait. Il n’y a pas de différence pour moi entre la déclaration d’amour au cinéma qu’il fait dans The Fabelmans et celle qu’il fait dans Jurassic Park (qui est un film ouvertement sur le cinéma et l’éthique des images de synthèse) ou Minority report (qui apporte avec lui tout un système référentiel à Hitchcock, Brian DePalma et Ingmar Bergman et s’interroge sur la nature des images, leur mensonge et celui du montage), si ce n’est qu’elle est plus frontale et donc plus « facile » à voir pour les critiques. Je trouve juste ça dommage que certains se réveillent beaucoup trop tard…

8. Au fil des pages, on ressent ta volonté d’offrir aux lecteurs un regard neuf sur les différents films traités. Une volonté d’étudier ses œuvres en profondeur ?

J’avais pour but (de façon, je l’avoue, pas forcément humble) de faire le livre ultime sur le cinéma de Spielberg, et pour ça j’ai essayé de lire le plus de choses possibles, d’en faire une sorte de synthèse et de pousser encore plus loin. Le livre n’est pas avare en citations (surtout de certains auteurs qui ont posé les bases de l’analyse sur Spielberg : Jean-Pierre Godard, Cyrille Bossy, Rafik Djoumi et Nigel Morris) mais essaye toujours de proposer quelque chose qui n’a jamais été écrit avant. J’aime à dire que 25% du livre est écrit par d’autres et 75% par moi.

J’ai aussi essayé de faire en sorte que n’importe qui, qu’il soit totalement néophyte en cinéma ou en Spielberg ou alors le plus enhardi des afficionados du cinéaste, puisse y trouver son compte et découvrir des choses qu’il ou elle ne savaient pas ou n’avait jamais vu. Mon vut c’est vraiment le « ahhhh mais j’avais pas vu ça comme ça ! ».

9. Que peut-on attendre du second tome ?

Vraiment la même chose mais sur les 17 films qui restent de sa filmographie, c’est la continuité logique du premier volume. J’y décortique tout d’abord ses influences, les films dans lesquels il rend hommage à ses maîtres (Hitchcock dans Duel et Les Dents de la mer, Kubrick dans A.I. et Victor Flemming dans Always), puis la deuxième partie va parler des films dans lesquels il parle de son rapport à Hollywood (de Hook à Ready player one en passant par Jurassic Park) et enfin on va finir par ses films de guerre (Du Soldat Ryan à La Liste de Schindler en passant par Empire du soleil).

10. Si tu devais conseiller un film du réalisateur, lequel recommanderais-tu et pourquoi ?

C’est une question compliquée, il n’existe pas de film absolu, ça dépend de la sensibilité de chacun et chacune. Pour celles et ceux qui aiment les films de guerre, je dirais Le Soldat Ryan, mais si vous aimez la SF, ce serait E.T., l’anticipation, Minority report, la comédie, Arrête-moi si tu peux, etc… En fait il s’est frotté à tellement de styles différents (road-movie, film de monstres, film de guerre, comédie musicale, comédie romantique, science-fiction, drame familial, fantastique, anticipation…) que c’est complique de réduire sa filmographie à un seul film comme on pourrait le faire pour d’autres cinéastes qui n’ont exploré qu’un seul genre (comme pourraient l’être Hitchcock ou Bergman par exemple). Et puis j’avoue qu’au cours de l’écriture du livre, je n’ai pas arrêté de modifier mon top 3 Spielberg au fur et à mesure que je redécouvrais les films, même si j’avoue avoir un gros faible pour Minority report…

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[…] d’une saga littéraire ou d’un dyptique comme cela avait été le cas pour l’ouvrage de Victor Norek: L’Œuvre de Steven Spielberg – L’art du blockbuster (toujours disponible sur le site de […]

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