[Interview] Thomas Suinot auteur de Tout savoir sur LOST – Décryptage et envers du décor de la série culte
Découvrez l’interview de Thomas Suinot, auteur de Tout savoir sur LOST – Décryptage et envers du décor de la série culte à venir chez Pix’n Love. L’occasion d’échanger avec l’auteur de l’ouvrage à l’occasion des 20 ans de la série et de son arrivée ce jour sur Netflix.
Bonjour Thomas. Merci d’avoir accepté cette interview. Peux-tu dans un premier temps te présenter à nos lecteurs?
Bonjour et merci pour cette première interview ! J’ai 36 ans et initialement je suis journaliste de presse écrite et web, un métier commencé en 2006. J’ai eu la chance de l’exercer à plein temps jusqu’en 2009 avant de changer un petit peu de voie (actuellement je suis salarié dans une entreprise du privé qui effectue des prestations numériques), mais j’ai gardé un pied dans le journalisme en étant pigiste pour différentes revues ou sites. Mes articles portent généralement sur la pop culture (cinéma, séries, mangas, jeux vidéo, comics…).
Comment est né ce projet et ta découverte de la série?
Le projet de livre est né il y a pile 9 ans (août 2015) ! A cette époque, j’avais un peu de temps libre et je me suis dit que j’allais enfin regarder l’intégralité des bonus des Blu-Ray de Lost et, probablement, apprendre des choses intéressantes (la série était terminée depuis cinq ans). Initialement je voulais écrire un article pour mon site personnel en dévoilant un peu ces coulisses, l’envers du décor, etc. Mais au bout de quelques heures (ou jours je ne sais plus très bien) j’avais déjà plusieurs pages A4 de rédigées et tout naturellement le projet s’est mué vers la rédaction d’un livre. Livre qui a pris du temps à aboutir et qui a été écrit en gros en trois sessions : une d’août à décembre 2015, une fin 2020/début 2021 (je crois qu’il y avait le second confinement à cette époque) et une ultime en début d’année en janvier 2024 (j’ai pris un mois de congé sans solde pour terminer l’ouvrage, en bossant dessus 12 à 14h par jour, 6 jours sur 7 car je voulais absolument qu’il sorte pour les 20 ans de Lost !).
Quant à ma découverte de la série, elle remonte à début 2008 (j’ai 20 ans à l’époque). Je connaissais Lost de réputation mais je n’avais jamais regardé (surtout que le rythme de diffusion de l’époque ne m’aurait sans doute pas convenu : en VF avec des coupures pub…). J’ai donc acheté sur un coup de tête les intégrales DVD des deux premières saisons. J’ai tout regardé à la suite et je suis allé prendre celui de la troisième saison dans la foulée (rires) ! J’ai eu la chance de ne pas vivre la frustration et l’attente entre les trois premières saisons ! En revanche, à partir de la quatrième (diffusée en 2008 justement), j’ai vécu ces incroyables moments de tension, cette satisfaction de découvrir « en temps réel » les épisodes (via du streaming) et cet agacement de devoir patienter. En parallèle, j’ai découvert le site Lostpedia et commencé à échanger sur des forums, etc. L’activité numérique et le débat en ligne font partie intégrante de l’expérience Lost pour de nombreux fans !
Lost est une œuvre aussi passionnante que complexe. As-tu rencontré des difficultés particulières lors de l’écriture du livre?
Pas spécialement (rires) ! Je dois nuancer néanmoins. Il y a eu quelques difficultés à recouper certaines sources, notamment sur la genèse de la série, car il y a des discours un peu contradictoires chez les artisans de l’ombre (producteurs, scénaristes…) mais rien d’insurmontable. Honnêtement, même sur le chapitre de décryptage des mystères, il n’y a pas eu de difficultés en particulier (car la plupart sont résolus dans la série ou ont des pistes de réflexion ou d’explications relativement pertinentes). Je reconnais que le chapitre sur « l’île, Jacob, son frère, leur mère et les Autres » est sans doute le plus ardu ! En me documentant avec des vidéos, podcasts et articles j’ai même mieux saisi certaines choses, c’était bénéfique. J’ai vite abandonné l’idée d’interroger des personnes qui ont travaillé sur la série, j’ai écrit plusieurs fois à un acteur de la série normalement accessible de la série sans retour… J’ai eu la chance de rencontrer Mark Pellegrino (Jacob) et lui ai passé plusieurs questions mais pas de retours non plus. La difficulté que j’ai rencontrée est, finalement, l’écriture du chapitre sur les révélations de tournage toxique et les accusations de racisme. Très peu de médias en ont parlé en France et ont survolé le sujet, omis énormément d’éléments et mal traduits certains propos. La difficulté n’a pas été de « travailler » sur tout cela mais de « digérer » les informations et les émotions… Apprendre certains coups en douce effectués par Damon Lindelof et Carlton Cuse (les showrunners de Lost), lire les témoignages d’auteurs qui étaient tétanisés, les « blagues » racistes ou autres, ça a complètement cassé une certaine « magie » des coulisses. J’étais éreinté et énervé d’apprendre tout cela mais il était obligatoire et nécessaire d’en parler dans l’ouvrage (d’autant que personne d’autre ne l’a fait en France avant de manière si complète).
La série fête cette année son vingtième anniversaire. Quelle est l’origine de son succès selon toi?
C’est un mix d’énormément de choses. Il y a, déjà, banalement le fond et la forme. Sur la forme, Lost a poursuivi ce qu’avait, d’une certaine manière, instauré 24 heures chrono, qui innovait avec l’action qui se déroule en temps réel et le split screen. Lost a choisi de centrer chaque épisode sur un personnage et, en plus, d’alterner flashback et présent. Rien que cette dynamique rythmique a dépoussiéré un peu le genre et, d’une certaine façon là aussi, a contribué à révolutionner le médium qui vivait un certain âge d’or, les premières séries « cultes » d’HBO venaient d’être diffusées ou étaient en cours de diffusion : Oz, Sex on the city, Les Soprano, Six Feet Under, The Wire… Mais Lost a moins ce côté « adulte » que celles-ci, davantage « populaire » (et ce n’est pas un gros mot ni un reproche), et ça clairement c’est lié à la formidable galerie de personnages ultra attachants qui ont accompagné les spectateurs durant six années de leur vie. Dans un cadre quasiment paradisiaque (la fameuse île) et bien entendu avec suffisamment de mystères et cliffhangers pour stimuler et happer les fans. La série continue de faire parler aussi bien grâce (ou à cause) de sa fin clivante mais aussi car elle retrouve une seconde vie depuis qu’elle est disponible sur les SVOD comme Disney+ ou Netflix. Une nouvelle génération peut la découvrir et l’ancienne peut la revoir sans les complications de l’époque de diffusion initiale. En somme, entre le casting soigné, l’écriture des personnages et des mystères, le dépaysement garanti, l’habillage sonore parfait (de Michael Giacchino) et l’originalité de l’ensemble, tout cela a contribué au succès de la série avec, évidemment, l’expérience viscérale et ultra personnelle propre à chacun. Les fans de Lost s’accordent toujours pour dire que la série les a changées, leur a apporté une certaine maturité ou sagesse, les a aidés à évoluer. Ça ne s’explique pas forcément très facilement mais c’est indéniable aussi.
De nombreuses personnes aimeraient que la série ait une suite. Une idée qui pourrait voir le jour?
Il y a quelques options possibles, la plus intéressante pour ma part serait de voir l’île à une autre période lointainement dans le passé (avec les peuples égyptiens ou romains). Une solution de facilité est de suivre ce que j’appelle « les enfants de Lost » : Ji Yeon, la fille de Jin et Sun, Aaron bien évidemment (le fils de Claire, élevé par Kate quelques années), Clementine, la fille de Sawyer, Charlie (l’enfant de Desmond et Penny) et bien sûr Walt. Il pourrait y avoir des connexions entre eux et un retour sur l’île mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… On en parlait avec Didi (Chandouidoui, vidéaste qui a une chaîne YouTube consacré à Lost), un truc qui pourrait être sympa serait une série assez mystérieuse et on apprendrait à la toute fin d’une saison qu’elle se déroule en fait dans l’univers de Lost (un peu comme la fin du film Split qui partage le même univers qu’Incassable). Mais à titre personnel je n’ai pas trop envie qu’une suite de Lost voit le jour, j’aime profondément la manière dont cela s’est terminé. Mais, pour citer Evangeline Lilly qui refuse elle aussi une suite : il ne faut jamais dire jamais…
Quelles sont les séries qui selon toi sont les héritières de Lost?
C’est intéressant car c’est un chapitre du livre et je pensais naïvement que ça allait être quelque chose d’assez court, finalement c’est très long et c’est une question qui revient sans cesse ! Il y a énormément de séries qui s’inspirent de Lost, certaines sont arrivées très vite et se sont flingués rapidement (Flashforward et The Event en tête) et d’autres ont pris le temps de maturation nécessaire pour être à la fois une œuvre détachée tout en ayant indéniablement l’ADN de Lost. Je pense en premier lieu à l’évidence même qu’est The Leftovers (par Damon Lindelof, donc forcément…). J’y ajoute Westworld, Dark, Yellowjackets, From et Missions, une série française de science-fiction assez méconnue. On peut en ajouter d’autres (The Wilds, Les Envoyés d’ailleurs, This is Us…). En fait, chacune va avoir un ou plusieurs éléments qui vont rappeler Lost, que ce soit dans le montage non linéaire, le crash d’un avion et la survie qui en découle, les différents mystères, la galerie de personnages, etc. Il y a un petit peu de Lost dans chacune d’entre elle, c’est indéniable. J’en parle longuement dans mon livre.
En 2008, la série a été adaptée en jeu vidéo. Réussite ou échec?
Semi-échec, ou semi-réussite (rires) ! Là aussi j’en parle dans mon ouvrage. Pour moi le seul intérêt de jouer à Lost : Via Domus (son titre VO pour info) est de se balader sur les lieux familiers de la série (des deux premières saisons, donc principalement l’île et la station du Cygne) et de croiser les naufragés qui sont doublés par les mêmes comédiens de Lost ! Cette petite immersion était franchement sympathique. Du reste, le gameplay est affreux, les graphismes très moyens et la durée de vie relativement courte, l’ensemble très répétitif, etc. En cela c’est indéniablement un échec. Les showrunners ont apparemment travaillé dessus (mais difficile de savoir à quel point). Introduire un nouveau personnage, avec des flashbacks là aussi et de mettre en avant la Fondation Hanso (peu mentionnée dans la série) étaient de bonnes idées mais ça n’a pas pris. Il y avait une rumeur qui disait que le personnage principal du jeu (Elliott) arriverait plus tard dans la série TV mais devant l’échec critique et commercial, Lindelof et Cuse ont rendu le jeu non canonique et stipulé que toutes les scènes dedans ne font donc pas partie intégrantes de Lost. Aucun doute que si le jeu avait été plus soigné, réussi et palpitant, ils auraient exploré cette piste !
As-tu d’autres projets pour la suite?
Autour de Lost, je dois rapidement terminer un site (vous pouvez avoir un premier aperçu ici) qui va accompagner la sortie du livre ! Il y aura des photos, vidéos, des compléments du livre et quelques bonus. Il sera dévoilé partiellement quelques jours avant la sortie du livre et toutes ses rubriques seront accessibles le jour de la sortie : le vendredi 13 septembre.
Concernant mes autres projets, je suis le fondateur et unique rédacteur du site www.comicsbatman.fr depuis fin 2011, une autre de mes passions ! J’y indexe et chronique tous les comics qui sortent sur Batman. Mécaniquement je parle aussi des films, séries, jeux vidéo, etc. J’ai trois projets de livres autour de Batman, ils sont tous au stade embryonnaire même si au moins l’un d’entre eux a de bonnes chances de voir le jour en 2026. Je ne peux malheureusement pas en dire davantage…
Quels conseils donnerais- tu à quelqu’un qui souhaiterait découvrir la série en 2024?
De ne surtout pas écouter les frustrés de la série qui rabâche que « tout le monde est mort depuis le début ça ne sert à rien de regarder ! ». C’est évidemment complètement faux. Autant j’arrive à comprendre des gens qui peuvent penser que tous les naufragés sont morts, autant j’ai du mal à saisir comment certains pensent que c’est le cas « depuis le début ». C’est lié à plusieurs facteurs que j’explique au début de mon livre mais qui me laissent toujours un peu songeur. Les dimensions spirituelles et le registre fantastique ont toujours fait partie intégrante de Lost, depuis le début, j’ai toujours du mal avec les personnes qui sont dans le déni de cela et souhaitaient uniquement des explications terre à terre et « réalistes ». Les explications sont « réalistes » dans le cadre de l’univers imposé par la série.
Mon conseil de visionnage est paradoxal. D’un côté j’ai envie de dire de savourer chaque épisode et prendre le temps avant d’en regarder un autre, faire une pause, digérer les informations, réfléchir à ce que peut être la suite, s’interroger aussi bien sur les éléments de la fiction que sur son cheminement personnel. D’un autre côté j’ai envie de dire foncez et dévorez tout, vous n’êtes pas prêts pour cette expérience de dingue (rires) !
Le mot de la fin?
Tout d’abord je tiens à remercier les nombreuses personnes qui ont précommandé le livre le jour de l’annonce de sa sortie ! Je ne sais pas si j’ai le droit de dire le nombre de précommandes qu’il y a eu en 24h mais c’est un nombre à trois chiffres… Cet engouement et l’enthousiasme intact autour de Lost me ravie au plus haut point !
Ensuite, je suis attaché à rappelé trois choses autour de Lost sur trois idées reçus qui reviennent sans cesse.
- « Ils sont tous morts depuis le début. La fin est nulle. »
J’en parlais plus haut, c’est évidemment faux et réexpliqué dès le début du livre.
- « Lost est la série de J. J. Abrams, il est responsable de tout. »
Si J.J. Abrams a réalisé l’épisode pilote de Lost et contribué à l’écriture de quelques épisodes, il a quitté Lost juste après le tournage du pilote et est resté à la production et une supervision assez lointaine. La dernière fois qu’il est crédité est pour une co-écriture du premier épisode de la saison trois. Lost est davantage la série de Damon Lindelof et Carlton Cuse et cela me tient à cœur de le préciser chaque fois que nécessaire. Abrams a créé des concepts (les ours polaires, la trappe…) sans avoir aucune idée de leur résolution, Lindelof et Cuse ont dû résoudre les mystères qu’Abrams avait imposé en conservant une cohérence et certaine plausibilité. Même si la série est un travail collectif, accoler le nom d’Abrams systématiquement à Lost est une erreur.
- « Rien n’était prévu, tout a été écrit et créé au fur et à mesure. »
C’est à nuancer grandement, beaucoup de choses dans Lost étaient effectivement improvisées et rédigées au fil de l’eau. Des personnages n’étaient pas prévus pour durer longtemps par exemple (comme Benjamin Linus), le passé des naufragés n’était pas non plus anticipé dans les grandes lignes, des mystères n’étaient pas spécialement résolues par leurs auteurs au moment où ils les ont mis en scène, etc. MAIS plusieurs indices tendent à prouver que certaines choses étaient tout de même anticipées de très longue date (je n’en dévoile pas plus, lisez mon livre – rires !) et évidemment, les trois dernières saisons ont été construites de manière cohérente et remarquable. En effet, au milieu de la saison trois, les showrunners ont négocié une fin de série en six saisons, cela leur laisse le temps de développer ce qu’ils souhaitent pour les trois dernières saisons. C’est l’ironie de Lost : les trois premières saisons sont souvent saluées et attribuées à Abrams alors que ce sont celles majoritairement « improvisées » et les trois dernières saisons sont souvent décriées et Lindelof lynché pour cela alors que ce sont les plus cohérentes et abouties d’une certaine manière !
Pour revenir à mon livre, c’est peut-être un peu prétentieux de dire cela, mais c’est ce que j’aurais aimé lire en 2010 une fois la série terminée, j’ai conçu l’ouvrage en ce sens : quelles informations aurais-je aimé trouver ? qu’est-ce que je voulais apprendre ? Il a été relu par 6 personnes ultra fans de Lost, toutes ont appris des choses, je pense que l’objectif sera atteint. Je ne voulais surtout pas partir en « suranalyse » intellectuelle (je trouve cela presque « trop facile » à faire et sans réel intérêt parfois), je me suis basé uniquement sur du factuel. J’espère que ça vous plaira, namasté !
Nous tenons à remercier une fois de plus Thomas Suinot pour sa gentillesse et ce superbe échange. Fan de la série ou curieux de la découvrir, foncez sur Netflix (elle est enfin disponible) la (re)visionner en attendant de découvrir le magnifique ouvrage qui lui est dédié et dores et déjà disponible en précommande sur le site des éditions Pix’n Love.
[…] vous avions parlé de l’ouvrage de Thomas Suinot (dont vous pouvez retrouver l’interview ici) qui sera bientôt disponible aux éditions Pix’n […]