A l’occasion de la sortie de Sur les mers One Piece : les trésors de l’aventure en juin chez Third Editions, nous avons eu l’honneur et el plaisir d’interviewer son auteur : Romain Kalisz. De la naissance de l’ouvrage à sa découverte du manga d’Eiichirō Oda. Un échange aussi intéressant qu’instructif réalisé à bord du Thousand Sunny que nous tenions à partager avec vous.
GC: Bonjour Romain, merci d’avoir accepté cette interview. Dans un premier temps, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
RK: Bonjour ! Tout d’abord, je tiens à vous remercier chaleureusement de m’avoir invité à répondre à cette interview pour Game Cover. Ce n’est que la deuxième fois que je réponds à des questions, j’espère donc que ça vous plaira ahah ! Pour ma part, je suis un professeur d’histoire-géographie d’une toute petite trentaine d’année. J’enseigne dans un collège du Nord de la France, mais je fais aussi quelques apparitions à l’université. Évidemment, je n’aime pas seulement l’histoire (même si je préfère la géo’), car en bon trentenaire à cheval entre la Génération Y et la Génération Z, j’aime aussi toucher aux blockbusters, aux jeux vidéo et bien entendu…aux mangas !
GC: Comment as-tu découvert One Piece ? Et comment est né l’idée d’écrire un livre sur le sujet ?
RK: J’ai « redécouvert » le monde des mangas que tardivement, au moment de commencer mes études. Évidemment, j’étais déjà un fan de longue date de Dragon Ball ou Yu-Gi-Oh !, mais ce n’est qu’après 2010 que je me suis ouvert à Death Note, Akira, Naruto ou encore l’Attaque des titans, qui débutait seulement. Ce n’est qu’en 2013 que je me suis vraiment lancé dans One Piece, parce que j’avais prévu d’aller à la Japan Expo et que je ne voulais pas me sentir trop largué ahah ! A l’époque, ce manga commençait seulement à exploser en France. C’était en tout cas une sacrée claque rafraîchissante, j’ai immédiatement accroché à cette ode au voyage.
En me lançant ainsi dans les mangas, j’ai immédiatement perçu toute la richesse qui entourait ce medium : il y a évidemment de l’action ou de la romance, mais il y a aussi des thèmes très sérieusement abordés, comme celui de la morale dans Death Note ou celui de la guerre dans Naruto. Comme ma redécouverte des mangas coïncidait avec mes études pour devenir enseignant, j’ai rapidement eu l’envie de didactiser ces thèmes et de prouver que les mangas, ce n’est pas que pour « les gosses ». Et un jour, un ami m’a offert pour Noël le livre Berserk : A l’encre des ténèbres publié par Third Éditions. Ça a été une autre sacrée claque rafraîchissante ahah ! Ça n’a fait que nourrir mon envie de contribuer à donner aux mangas leurs lettres de noblesse, et de fil en aiguille, j’ai eu l’opportunité d’écrire sur ce formidable manga qu’est One Piece.
Désolé, j’ai peut-être un peu trop raconté ma vie ahah !
GC: One Piece est devenu un phénomène mondialement connu. Mais quels conseils pourrais-tu donner à ceux qui souhaiteraient le découvrir ?
RK: One Piece, c’est tout de même plus de 1100 chapitres, répartis dans 109 tomes reliés au moment où j’écris ces lignes. L’œuvre est monumentale, et se rabattre sur la version animée nous confronte au même problème, puisque nous avons dépassé les 1100 épisodes il y a peu. Cette longueur peut déstabiliser, mais si je peux donner un conseil pour sauter le pas, ça serait de tout simplement prendre son temps.
One Piece est un manga de pirates qui réunit tous les ingrédients de l’aventure : des paysages oniriques, des mystères et bien évidemment des combats. On pénètre un monde magique et, au rythme des héros, nous voyageons dans tous les recoins de l’imagination, de la cime du monde jusqu’aux fonds des océans. C’est donc un formidable voyage, et je ne sais pas vous, mais quand on voyage, on a généralement envie de prendre son temps. On a envie de flâner, sans se presser. De la même manière, j’encourage ceux qui veulent essayer One Piece de ne pas blêmir devant sa longueur, mais plutôt de la savourer, même si cela doit prendre des mois ou des années. Inutile de se presser !
GC: Quel est ton arc / moment favori de One Piece ?
RK: Oula ! Quelle question difficile ! Il y en a plein, évidemment…Mais je vais tenter de jouer le jeu et de répondre quand même ! Vu que c’est un peu difficile d’être si catégorique, je vais plutôt donner un arc que j’aime beaucoup et un moment que j’ai adoré.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé l’arc Impel Down. Outre le scénario, cet arc représente la descente aux enfers de Luffy afin de se confronter à une série d’épreuves qui ont pour but de le tester afin qu’il s’affirme en tant qu’héros. C’est ce qu’on appelle une catabase, et je trouve qu’Oda l’a formidablement bien réussie ! J’ai trouvé ça palpitant de voir Luffy descendre de cercle en cercle, en trouvant sur son chemin des épreuves qui sont un peu le miroir de son aventure sur Grand Line. Même s’il n’a pas l’air comme ça, cet arc est aussi d’une grande richesse culturelle, et fourmille de détails qu’Oda est allé piocher ici et là pour imaginer son enfer grandeur nature.
Concernant mon moment favori…Eh bien, ça peut surprendre, mais j’aurais tendance à dire le flashback de Fisher Tiger, durant l’arc des Hommes-poissons. Il y a un moment précis qui m’a fait frémir dans tous les sens du terme, c’est celui où l’équipage de Fisher Tiger fait la rencontre de Koala, la petite esclave. Celle-ci avait acquis des automatismes d’esclave pour se protéger mentalement et physiquement. Finalement, Fisher Tiger (qui est un ancien esclave) arrive à libérer la petite fille de sa prison mentale et son premier acte d’affranchissement est de s’autoriser à pleurer. Ah ! C’est triste, mais dans le bon sens du terme. C’est ce qu’il y a de bien avec One Piece : l’auteur imagine les pires atrocités, mais définit toujours un horizon positif.
GC: On compare souvent le succès de One Piece à celui de Dragon Ball quelques années plus tôt. One Piece est-il devenu selon toi le meilleur anime / manga de tous les temps ?
RK: One Piece est effectivement le manga de tous les records. En termes de publication et de ventes, cela fait longtemps qu’il a dépassé Dragon Ball. Ponctuellement, d’autres mangas ont réussi à tenir la dragée haute à One Piece, comme Demon Slayer qui l’a dépassé juste avant le confinement en 2020. Mais ce ne sont à chaque fois que des microphénomènes, car en ventes cumulées, One Piece dépasse les 500 millions d’exemplaires vendus et s’approche de la bande-dessinée la plus vendue de tous les temps : Superman, et ses plus de 600 millions d’exemplaires écoulés. Quoiqu’il en soit, One Piece reste le manga le plus vendu de tous les temps, et je souhaite bon courage à celui qui voudra tenter de battre ce record ahah !
Cependant, le nombre de ventes ne peut pas être forcément jumelé à ses qualités intrinsèques. Burger King est la chaîne qui vend le plus de burgers au monde, et on ne peut pas dire que ce sont les meilleurs burgers du monde ahah ! D’autres mangas sont autant, voire plus, passionnants que One Piece….Mais ça, c’est une affaire de sensibilité, propre à chacun !
GC: Quelles sont les forces et faiblesses de la saga ?
RK: L’une des principales forces de One Piece est de réussir à accrocher son lectorat grâce à une chasse au trésor grandeur nature. Dans l’œuvre, on suit Luffy, en quête d’un fabuleux trésor qui lui permettra de devenir le Roi des pirates. Le monde dans lequel évolue le héros n’est donc finalement qu’une vaste énigme à résoudre, où les légendes, les mythes et les intrigues politiques se mêlent. Ainsi, en conservant des mystères toujours pas résolus depuis plus de 25 ans, Eiichiro Oda propulse aussi les lecteurs dans cette chasse au trésor, et c’est ce qui rend le tout passionnant. Certains lecteurs sont particulièrement passionnés par ces mystères, et se creusent les méninges H24 pour essayer d’imaginer la suite des évènements. Je suis par exemple fasciné par le travail des vidéastes, comme le Mont Corvo, Nina ou Goji, qui creusent l’œuvre de fond en comble pour tenter d’imaginer la suite.
De cet engouement qu’a su créer l’auteur autour de son œuvre, découle une autre qualité que je trouve remarquable : la cohérence. Cela paraît simple au premier abord, mais c’est un véritable tour de force de la part de l’auteur de réussir à rendre son univers homogène et cohérent malgré la multitude de personnages, de mythes, de légendes et de secrets qui le compose. Je le décrypte dans mon livre, mais cette cohérence découle à la fois d’une structure narrative parfaitement maîtrisée et d’une capacité à distiller les informations dans le temps tout en se laissant la liberté d’ajuster son récit avec de nouvelles idées.
Enfin, l’aspect « voyage » est l’une des grandes forces de l’œuvre. Rares aujourd’hui sont les œuvres qui prennent le temps de placer le voyage au centre de son récit. On a de plus en plus de mangas qui veulent aller vite, avec des arcs effrénés qui jouent la surenchère, et avec le risque de brûler leur scénario rapidement. Au contraire, dans One Piece, on s’attarde sur les paysages, sur les êtres humains et les cultures. A travers les yeux de Luffy, on s’intéresse à des communautés imaginaires, avec cette empathie qui caractérise tant le personnage. C’est un peu comme si on prenait Candide de Voltaire, et qu’on le mettait dans un univers de Jules Verne. On dit que le voyage fait grandir, et je crois que c’est l’une des forces de l’œuvre.
Au contraire, cette marche au ralenti peut aussi être assimilée à une faiblesse. On a souvent reproché à Eiichiro Oda – et à juste titre – de parfois trop prendre son temps. On se retrouve de ce fait avec des arcs narratifs longs de plusieurs années, et je peux comprendre que ça puisse décourager les lecteurs. En tout cas, cela peut décourager ceux qui essaient de suivre les aventures semaine après semaine !
De plus, la richesse de l’œuvre que j’ai cité plus haut trouve son pendant négatif dans la somme d’informations que cela demande de retenir. On dépasse le millier de personnages, les histoires se chevauchent et les temporalités sont parfois trop étoffées. Cela m’amuse toujours de voir que l’auteur, durant ses arcs narratifs, fait carrément des plans des îles pour nous rappeler où sont les personnages et ce qu’ils font au moment T. On voit rarement ça dans les autres mangas ! A cela, s’ajoutent aussi les dessins de l’auteur. Outre les magnifiques planches qu’on garde parfois en mémoire, les pages communes fourmillent souvent de détails qui ne sont pas toujours clairs à la première lecture. Le style d’Eiichiro Oda est particulier, et n’est par exemple pas aussi épuré que son maître à penser, Akira Toriyama. Au bout de 1000 chapitres lus, on connaît évidemment la façon de fonctionner d’Oda, mais je peux comprendre que des lecteurs moins habitués puissent décrocher plus facilement.
GC: As-tu rencontré des difficultés particulières lors de l’écriture de ton livre ?
RK: Dans l’écriture du livre, je suis tombé essentiellement sur trois difficultés : la première, c’est évidemment la quantité phé-no-mé-nale d’informations que contient l’œuvre, et qui m’a demandé un triage de l’enfer et un référencement digne d’un magasin pour bien repérer les chapitres à mentionner. Vous allez pouvoir le vérifier dans le livre avec le nombre de bas de pages qu’il y a ! Il y en a plus de 600 ahah ! ; la seconde difficulté, c’est de réussir à trouver un maximum d’interviews d’Eiichiro Oda et ses éditeurs afin de servir mon propos. Tout ce que j’avance sur l’auteur est systématiquement sourcé, mais ça m’a demandé de fouiller des semaines entières sur l’Internet japonais ou dans de vieux magazines. Ce travail de recherche était loin d’être évident ; enfin, la troisième difficulté que j’ai rencontré c’est….moi-même ! On dit souvent que « le mieux est l’ennemi du bien », et en voulant parfois trop bien faire, il m’est arrivé de faire finalement moins bien !
GC: Aurais-tu des conseils à ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’écriture d’un ouvrage chez Third Editions ?
RK: Le premier conseil que je donnerais, c’est évidemment de lire des ouvrages de chez Third Editions ahah ! Il y a une sorte de « recette Third » qu’il faut réussir à s’approprier, et qui permet d’analyser les œuvres de façon logique et ordonnée (processus créatif – univers – analyse). Réussir à intégrer ça est déjà un grand pas ! Le second conseil, ça serait d’être organisé. On ne badine pas avec les sources ou les références, et vous pouvez le vérifier avec la bibliographie à chaque fin de livre. Ça demande du coup un petit investissement en post-it ahah ! Enfin, le dernier conseil que je donnerais, ça serait d’écouter la FAQ de Third, qui a lieu en mars chaque année. Je me souviens que cette année, l’équipe avait distillé quelques conseils pour se lancer dans une proposition de manuscrit, et ça vaut de l’or ! Ce type de conseils m’avait beaucoup aidé à sauter le pas.
GC: Qu’as-tu pensé de la série live-action diffusée sur Netflix ?
RK: Eh bien, franchement ! Je dois bien avouer que j’ai été plutôt satisfait ! Et pourtant, tout le monde était sceptique quand le projet avait été annoncé il y a quelques années. La réalisation a su s’approprier le manga d’origine, et a fait preuve d’audace en proposant souvent de bonnes idées. Ce que j’ai surtout aimé, c’est que tout dans cette série – des costumes jusqu’aux attaques – ne fait pas totalement réaliste, et qu’il y a une sorte de kitsch totalement assumé. Cela évite à la réalisation de se prendre trop au sérieux sans abandonner l’aspect délirant et merveilleux du manga. J’avais, au début, peur que Netflix ne fasse qu’un Pirate des Caraïbes avec des pouvoirs magiques, mais on en est finalement loin ! C’est une bonne chose. J’ai aussi pas mal accroché sur le choix du casting, qui m’a l’air de bien fonctionner ! Il y a une chose qui m’a fait peut-être tiquer : le rythme. Il y a parfois des accélérations narratives, et parfois des moments plus longuets, non nécessaires. C’est évidemment perfectible, et la saison 2 sera un peu l’épreuve du feu à passer.
GC: La saga semble s’approcher de sa conclusion. Quelle serait ta fin idéale ?
RK: Ma fin idéale ! Eh bien ! J’ai toujours été mauvais pour deviner la suite des évènements, alors vous pouvez être sûrs que ma proposition ne se réalisera pas ahah ! Allez, on essaye….Je pense que Luffy et ses alliés seront jetés dans une grande guerre, qu’ils botteront d’abord les fesses d’Imu et qu’ils trouveront le One Piece ensuite. Et le méchant final sera Barbe Noire. Pirate contre pirate, vision contre vision ! Mais à la toute fin, tout le monde croira que c’est Baggy le Clown qui a vraiment trouvé le One Piece, il deviendra le Roi des pirates aux yeux de tous (un peu comme le fait que tout le monde croit qu’Hercule Satan a battu Cell dans Dragon Ball). Et Luffy sera exécuté, parce qu’une vraie vie aventureuse de clôture par la mort, pas par le retraite.
GC: Le premier tome de Sur les mers de One Piece a réussi son lancement. Peux-tu nous dire ce qui attend les lecteurs pour le second tome ?
RK: Sans trop en dire, car j’ai quelques surprises en tête….Eh bien, nous allons déjà poursuivre notre périple sur Grand Line : direction le Nouveau Monde, avec de nouveau une analyse arc par arc ! Comme le propos devient radicalement plus politique et mythique dans la seconde partie de l’œuvre, nous prendrons également ce chemin-là pour aborder l’œuvre de façon plus globale.
C’était nul hein ? ahah !
GC: Es-tu fan d’autres mangas ?
RK: J’ai effectivement quelques autres coups de cœur, qui sont d’ailleurs loin du merveilleux-aventureux de One Piece. Je reconnais avoir un faible pour l’Attaque des Titans, que j’aime énormément et que j’ai suivi quasiment depuis ses débuts. Sa complexité thématique et ses réflexions sont d’une très grande richesse, c’est vraiment stimulant ! Il y a aussi toute l’œuvre de Tatsuki Fujimoto que j’apprécie beaucoup, en particulier Chainsaw Man. Cet artiste est vraiment à part, il a cette espèce de désinvolture académique qui me fait toujours penser à Quentin Tarantino, version mangaka. Et j’aimerais terminer sur une petite recommandation toute personnelle, un manga qui compte beaucoup pour moi : March Comes in like a lion. C’est un manga de type « tranche de vie », écrit par Chica Umimo, et qui a remporté le prestigieux Grand Prix Tezuka, en 2014. Ce manga est une approche poétique et sensible du monde, il est vraiment beau !
GC: Le mot de la fin ?
RK: Excelsior !
Merci à l’équipe de Game Cover pour cet entretien !
Nous tenons à remercier chaleureusement Romain Kalisz pour son accueil et sa bienveillance. Si vous n’avez pas encore craqué, nous vous rappelons que Sur les mers One Piece : les trésors de l’aventure est disponible sur le site de Third Editions aux formats Classique et First-Print (exclusif au site de l’éditeur) ainsi que dans vos librairies habituelles.
[…] L’ouvrage a été écrit par Romain Kalisz qui signe ici son premier ouvrage chez Third Editions. Avant de prendre la mer et de découvrir le premier tome de ce dyptique, prenons le temps de découvrir le parcours de notre capitaine dont vous pouvez retrouver notre interview ici. […]
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